Discours du directeur général adjoint de l’UNICEF, Omar Abdi, lors du débat public au Conseil de sécurité de l’ONU.
« Excellences, distingués invités, collègues,
Aujourd’hui est un jour difficile dans l’histoire des enfants touchés par les conflits armés. En effet, le rapport du Secrétaire général fait état, cette année, du plus grand nombre de violations graves jamais vérifiées par les Nations unies (plus de 27 000) et du plus grand nombre de cas préoccupants jamais recensés (26).
Un triste état des lieux
L’UNICEF est très inquiet du sort des enfants confrontés aux situations les plus récemment ajoutées à ce rapport à savoir : Haïti et le Niger ajoutés cette année, et l’Éthiopie, le Mozambique et l’Ukraine ajoutés en 2022. Outre ces pays, nous ne devons pas oublier que le plus grand nombre de violations graves à l’encontre des enfants a été vérifié dans des territoires où les conflits perdurent depuis de longues années, notamment en République démocratique du Congo (RDC), en Israël et dans l’État de Palestine, ainsi qu’en Somalie.
Ces trois derniers cas figurent systématiquement dans le rapport du Secrétaire général depuis la création du mécanisme de surveillance et de communication de l’information en 2005, ce qui signifie que les enfants de ces territoires sont confrontés à des violations graves et incessantes depuis des années voire, dans certains cas comme pour les enfants de l’État de Palestine, depuis des dizaines d’années. Malheureusement, en raison de l’escalade récente des violences, nous estimons que les violations vérifiées dans certaines de ces situations augmentent encore au cours des prochains mois.
Bien que l’éruption d’un nouveau conflit au Soudan ait eu lieu en dehors de la période couverte par le rapport de cette année, l’UNICEF est également très préoccupé par l’impact du conflit en cours sur les 21 millions d’enfants que compte le Soudan. Plus d’un million d’entre eux ont déjà été déplacés par les combats et l’ONU a reçu des informations crédibles, en cours de vérification, selon lesquelles des centaines d’enfants auraient été tués ou blessés.
Le programme CAAC pour libérer, réintégrer et protéger les enfants affectés par les conflits armés
Excellences, le Programme CAAC (Children and Armed Conflict) est efficace – comme nous en avons discuté lors du débat public l’année dernière, il existe d’innombrables exemples de l’impact positif que le Programme CAAC a eu sur les enfants touchés par les conflits dans le monde entier.
Au moins 180 000 enfants ont été libérés des rangs de forces et de groupes armés depuis l’an 2000. Et 39 plans d’action ont été signés depuis 2005 dans 18 situations de conflit différentes. Ces plans d’action ont permis de prévenir et de faire cesser de graves violations à l’encontre d’un nombre incalculable d’enfants grâce à des mesures proactives prises par les belligérants. En RDC, par exemple, la mise en œuvre du plan d’action de 2012 a permis de réduire considérablement le nombre d’enfants recrutés et utilisés par les FARDC, y compris l’enrôlement et la séparation de plus de 1 100 enfants, ce qui a conduit à retirer les FARDC de la liste des auteurs de cette violation.
L’une des principales forces du Programme CAAC réside dans le mécanisme de surveillance et de communication de l’information des Nations unies sur les violations graves, qui sert de base de données pour le présent rapport. Ces données sont fiables et solides. Elles sont à la hauteur de l’examen minutieux qui accompagne les vérifications de l’ONU. Des experts formés à la protection de l’enfance collectent méticuleusement ces données de manière impartiale, indépendante et neutre, conformément aux principes humanitaires fondamentaux. Nous soutenons la véracité de ces données et appelons les États membres à faire de même.
Ces données permettent à l’ONU et à ses partenaires de mieux cibler leurs efforts pour prévenir les violations graves et soutenir les enfants qui en ont été victimes. Ainsi, elles aident l’UNICEF à cibler les actions de prévention et à répondre aux incidents tragiques comme celui qui a tué 27 enfants et en a blessé 53 autres le mois dernier dans le sud de la Somalie, après l’explosion de résidus explosifs sur un terrain de jeu. Alors que l’UNICEF a sensibilisé plus de 9 millions d’enfants dans le monde aux risques liés aux munitions explosives en 2022, les dangers que représente la prolifération des armes nous obligent à en faire plus.
De même, notre connaissance des zones de recrutement et d’utilisation des enfants nous permet de nous engager auprès des parties au conflit pour qu’elles libèrent ces enfants et de leur apporter un soutien. En 2022, l’UNICEF et ses partenaires ont fourni à plus de 12 460 enfants un soutien à la réintégration ou à la protection.
Les informations vérifiées par les Nations unies qui figurent dans le rapport du Secrétaire général servent également de point d’entrée aux Nations unies pour engager le dialogue avec les belligérants afin de les inciter à prendre des mesures pour mieux protéger les enfants. Au cours des 18 derniers mois, plusieurs parties se sont engagées à prendre des mesures pour protéger les enfants grâce à l’engagement de l’ONU. Par exemple, les protocoles de transfert – adoptés au Burkina Faso et au Nigeria l’année dernière – décrivent les mesures nécessaires pour protéger les enfants rencontrés, détenus ou identifiés au cours d’un conflit… y compris leur transfert rapide aux acteurs civils de la protection de l’enfance responsables de leur prise en charge et de leur protection.
S’engager réellement en faveur de la protection des enfants
Nous félicitons également les États membres qui ont pris des engagements forts pour assurer la sécurité des enfants lors de la conférence d’Oslo sur la protection des enfants dans les conflits armés qui s’est tenue le mois dernier. Il s’agit notamment du Soudan du Sud, qui s’est engagé à approuver les engagements et principes de Paris et les principes de Vancouver et à les intégrer dans sa législation nationale, de la Somalie, qui s’est engagée à ratifier le protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, et du gouvernement norvégien, qui s’est engagé à consacrer un milliard de couronnes norvégiennes à des programmes visant à prévenir les violations des droits de l’enfant dans les situations de conflit armé et à y répondre.
Ces pays doivent être félicités et soutenus dans leur engagement à renforcer la protection des enfants. Et nous encourageons les autres à suivre leur exemple. Mais ces engagements – qu’il s’agisse de plans d’action, de mesures de prévention, de protocoles de transfert, de l’approbation d’instruments clés ou de l’adoption d’une législation – doivent être mis en œuvre et soutenus par la volonté politique des belligérants et de leurs alliés afin d’apporter des changements significatifs pour les enfants. Avec plus de 27 000 violations vérifiées cette année, contre 24 000 l’année dernière, les engagements existants ne sont manifestement pas suffisants. L’UNICEF appelle les parties à prendre des mesures significatives et sans ambiguïté en faveur des enfants.
L’intérêt supérieur de l’enfant doit primer sur toute considération politique
Nous sommes déçus par l’absence de progrès du Groupe de travail du Conseil de sécurité sur les enfants et les conflits armés vers l’adoption des conclusions des rapports nationaux du Secrétaire général, malgré les efforts louables de la Norvège et de Malte en tant que présidents du Groupe. Ces conclusions représentent un instrument important pour les hauts responsables et les praticiens sur le terrain afin de renforcer le plaidoyer auprès des parties au conflit, des donateurs, des dirigeants communautaires et autres. Nous appelons les membres du Conseil de sécurité à placer la protection des enfants au-dessus de toute autre considération politique, notamment en accélérant l’adoption des conclusions du groupe de travail du Conseil de sécurité qui sont solides, pertinentes et urgentes.
Comme l’indique le rapport du Secrétaire général, les groupes armés non-étatiques ont été responsables de plus de 50 % des violations graves commises l’année dernière. Au Burkina Faso, par exemple, près de 85 % de toutes les violations graves vérifiées ont été attribuées à de tels groupes armés.
Pourtant, bien trop souvent, nous rencontrons des acteurs étatiques qui souhaitent empêcher ou réduire l’engagement des Nations unies auprès des groupes armés ou des autorités de facto pour des raisons politiques. Je tiens à préciser que l’engagement humanitaire des Nations unies avec ces acteurs non-étatiques ne les légitime pas. Afin de continuer à faire la différence pour les enfants dans les conflits, y compris par la fourniture de services et par l’établissement d’un dialogue pour mettre fin aux violations, nous appelons les États membres à permettre et à soutenir l’engagement de l’ONU auprès des groupes armés, y compris auprès des groupes armés susceptibles d’être désignés comme terroristes.
Accroître le soutien aux efforts des Nations unies
Le nombre de pays inscrits à l’agenda de notre Programme sur les enfants affectés par les conflits armés augmente, tout comme le nombre d’enfants qui ont besoin de notre protection et de notre soutien. L’UNICEF codirige ce travail dans les 26 pays et plus qui font partie de ce Programme. Comme nous l’avons annoncé lors de la conférence d’Oslo, nous investissons des ressources essentielles – bien que malheureusement limitées –dans le travail de surveillance et de communication de l’information sur les violations graves commises à l’encontre des enfants, afin de nous assurer que nous pouvons répondre aux besoins des enfants touchés par ces violations.
Mais les Nations unies dépendent du soutien des donateurs pour poursuivre leurs efforts visant à fournir aux enfants les services humanitaires dont ils ont besoin et à documenter les violations graves dont ils sont victimes. Nous appelons donc les États membres à accroître leur soutien aux efforts des Nations unies.
Protéger les enfants pour un futur pacifique
Excellences, nous dénombrons aujourd’hui plus d’enfants en danger que jamais depuis les 75 dernières années. Les raisons à cette terrible constatation sont simples : des enfants souffrent et meurent à cause de la cruauté sans nom des hommes et de l’indifférence à leur égard. Ils souffrent et meurent car certains dirigeants politiques et certaines parties au conflit font simplement fi du principe d’humanité en temps de conflit.
Alors, pour conclure et au nom de l’UNICEF, je demande instamment à tous les États et à toutes les parties belligérantes de rejoindre notre appel à donner la priorité aux enfants et à les protéger aujourd’hui afin qu’ils puissent grandir et créer un monde plus pacifique pour les générations futures. »