Plus qu’un enjeu de santé publique, la santé mentale est un droit fondamental pour chaque enfant. Pourtant, en France, la détresse psychologique des enfants et des jeunes ne fait qu’augmenter.
Marie-Rose Moro, pédopsychiatre et membre du comité scientifique de l’UNICEF France nous explique.
Ces dernières années, la santé mentale des adolescents s’est détériorée de façon alarmante. Quelles pourraient être les causes de cette situation ?
La vulnérabilité psychologique des enfants et des adolescents en France découle souvent de leur situation propre, de celles de leurs familles, de l’environnement, scolaire, social et culturel dans lequel ils vivent.
Le système éducatif en est l’exemple.
Le soutien collectif, qui permettait aux jeunes de se protéger et de s’entraider, tend à disparaître. Résultat, ils se sentent de plus en plus isolés à l’école, comme dans la société.
C’est également important de mentionner que la perception négative que nous avons, en tant qu’adultes, de l’avenir des jeunes les encombre et leur pèse. Ce pessimisme, plus marqué en France que chez nos voisins en Italie ou en Espagne par exemple, contribue à fragiliser l’état psychologique des jeunes dans notre pays.
Le risque de dépression a considérablement augmenté chez les adolescents entre 2021 et 2022. Quel est l’impact sur leur vie quotidienne ?
Chez l’enfant et l’adolescent, les symptômes de la dépression sont polymorphes et ne s’expriment pas de la même manière que chez l’adulte.
La tristesse, l’anxiété, les difficultés liées au sommeil, l’arrêt brusque des activités (sport, musique, moments avec les amis) et la perte de l’élan vital sont des signaux forts qui doivent nous alerter.
On ne saurait parler de ces symptômes sans évoquer un des plus redoutables : l’envie de mettre fin à sa vie.
Au collège, 1 fille sur 4 déclare avoir déjà eu « envie de mourir ». Que vous évoque ce chiffre ?
Il fait écho à ce que je vois tous les jours en tant que pédopsychiatre. L’élan vital, c’est-à-dire ce plaisir d’apprendre, de créer et de grandir, est précaire chez les adolescents. Il est fragilisé par les doutes et les peurs. Chez les filles, ça se traduit par des tentatives de suicide plus nombreuses que les garçons.
Les chiffres montrent un écart croissant entre les filles et les garçons. Les filles sont-elles davantage exposées? Si oui, pourquoi ?
La question du genre est assez complexe. La différence entre une étude et une autre dépend de ce qu’on décide d’observer.
Si on parle des troubles du comportement alimentaire par exemple, les filles représentent 90% des personnes concernées. Pourtant, lorsqu’on évoque les troubles du comportement de manière générale, les garçons sont les premiers concernés.
Une chose est certaine : il y a quelque chose d’évitable chez les filles qu’on n’évite malheureusement pas.
Elles verbalisent leur mal-être, expriment leurs souffrances et racontent leurs difficultés. Pourtant, elles sont confrontées à de nombreux préjugés tels que « c’est une fille, elle se plaint tout le temps » ou « les filles se plaignent plus que les garçons ».
Ce sont autant d’idées reçues qui les fragilisent et les poussent parfois à l’acte.
À ce jour, quel est le parcours de prise en charge des jeunes filles qui souffrent de troubles de la santé mentale ?
En France, le parcours ne dépend pas du genre, mais des symptômes de l’adolescent. On observe qu’en fonction des symptômes, les filles seront plus représentées dans certains parcours de soins que les garçons. C’est le cas pour le traitement des troubles du comportement alimentaire où on a 9 filles pour 1 garçon.
De manière générale, la prise en charge commence par les Centres Médicaux Psychologiques qui diagnostiquent et soignent les adolescents concernés. Il y a aussi les Maisons des adolescents ou les services universitaires qui leurs sont dédiés.
Dans le privé, les consultations chez un psychologue peuvent aussi servir de « porte d’entrée » pour leur prise en charge.
En fonction de la situation de l’adolescent, il peut être référé à des structures dites de niveau 2 ou 3 pour un traitement plus complexe.
Que pouvons-nous faire pour que les adolescents et les adolescentes se sentent mieux dans la société ?
Il n’y a pas de réponse simple, mais il est possible d’inverser la tendance aussi bien individuellement qu’à l’échelle collective.
La prise de conscience et la participation active des adolescents et de leurs familles peuvent faire avancer les choses. Au niveau politique, il faut des ressources plus importantes.
Médecins, psychologues, infirmières, orthophonistes… il faut former et recruter tous ceux qui participent aux mieux-être de nos adolescents.
Avez-vous un dernier message ?
J’ai un message de la part de Mathilde, une des adolescentes que je suis.
Dans la phrase de Mathilde résonne la détresse de ces jeunes qui semblent crier dans le vide et ne se retrouvent qu’avec l’écho de leurs cris.
Il faut les aider. On sait comment le faire, il nous faut les moyens, la volonté et le cadre politique.