Au Soudan, la population impuissante fait face à l’une des plus graves crises humanitaires de la décennie. Mary Louise Eagleton, représentante adjointe du bureau de l’UNICEF au Soudan, témoigne.
Depuis le 15 avril 2023, la guerre fait rage au Soudan. Quelle est la situation, un an plus tard ?
Depuis plus d’un an, 24 millions d’enfants soudanais vivent un réel cauchemar. Ils sont nombreux à avoir tout perdu : parents, frères et sœurs, amis…
4,6 millions d’entre eux ont dû quitter leurs maisons en raison des attaques dans leurs villages. Certains ont trouvé refuge ailleurs au Soudan tandis que d’autres ont franchi la frontière vers les pays frontaliers, particulièrement au Tchad.
Dans les régions asphyxiées par les combats, la situation est catastrophique. 3,7 millions d’enfants souffrent de malnutrition aiguë. Parmi eux, 730 000 sont atteints de malnutrition aiguë sévère et sont au seuil de la mort.
Entre la faim, les déplacements massifs et les épidémies à répétition, 14 millions d’enfants ont urgemment besoin d’une aide humanitaire. De nombreuses écoles à travers le pays ont fermé leurs portes, privant ainsi 19 millions d’enfants de leur accès à l’éducation.
À moins que la communauté internationale et les parties au conflit ne mettent fin à cette guerre, le Soudan risque de basculer dans une famine sans précédent.
Nos équipes nous font part d’histoires déchirantes d’enfants qui ont marché des heures, voire des jours à la recherche d’un refuge. Il s’agit de la pire crise de déplacement d’enfants au monde. Quels sont les dangers auxquels ils sont exposés ?
Chaque jour, ils sont de plus en plus nombreux à se retrouver, sans défense sur les routes de l’exode.
Wala, 15 ans et sa sœur Shegn en sont l’exemple. Originaires de Khartoum, elles ont vu leur maison ainsi que celle de leurs voisins être rasée. Elles ont pris la fuite avec d’autres membres de leur famille. Elles ont rejoint la ville de Kassala, à l’est du pays après 4 jours d’un voyage épuisant.
Malheureusement, elles ont été séparées de leurs parents lors du trajet et n’ont retrouvé leur mère que 5 jours après leur arrivée à Kassala. L’histoire de Wala résonne avec celle de 4,6 millions d’enfants pour qui ces traumatismes auront de lourdes conséquences sur leur avenir.
Désormais, Wala et sa sœur reçoivent un soutien psychosocial dans un espace ami des enfants soutenu par l’UNICEF. Au Soudan, nous appelons ces espaces des « Makanna » qui, en arabe, signifie « Notre espace ». Ce sont des endroits protégés où les enfants bénéficient d’un soutien psychosocial et peuvent retrouver un semblant de normalité, loin des horreurs de la guerre.
Entre 2022 et 2023, le nombre de violations graves contre les enfants a été multiplié par 5. Qu’est-ce qui explique une telle hausse et qu’est-ce que cela signifie pour les enfants ?
Pour rappel, on parle de violations graves contre les enfants lorsqu’ils sont tués, blessés, kidnappés, enrôlés de force dans des groupes armés ou victimes d’agressions ou de violence sexuelles. Ces violations graves désignent également toute attaque contre les écoles ou les hôpitaux ainsi que le déni d’accès à l’aide humanitaire.
Au Soudan, entre 2022 et 2023, les violations graves à l’encontre des enfants ont été multipliées par 5, particulièrement dans la région du Darfour. Concrètement, cela signifie que depuis le début du conflit, le nombre d’enfants tués, blessés ou enrôlés de force dans les groupes armés n’a eu de cesse d’augmenter. Selon nos estimations, il y a plus de 4 500 cas vérifiés et documentés, mais nous savons qu’en réalité, ce chiffre est plus élevé.
Dans un contexte de guerre permanente, il est particulièrement difficile de vérifier et de contrôler ces cas de violations.
Au Soudan et dans les pays frontaliers, que fait l’UNICEF pour venir en aide aux enfants affectés par le conflit ?
À Khartoum, la capitale du pays, mais également dans la région du Darfour et dans celle du Kordofan, nous garantissons l’accès aux services essentiels de santé, de nutrition, d’eau, d’hygiène et d’assainissement.
Nos équipes font tout leur possible pour atteindre les familles et les enfants car l’accès à ces zones est difficile. Nous travaillons conjointement avec des partenaires locaux.
L’UNICEF fournit également une aide essentielle dans les autres régions du pays qui sont plus sûres et vers lesquelles les enfants et leurs familles ont fui en masse.
Nous avons mis en place plus de 1 000 « Makanna » à travers le pays. Ce sont des espaces comme ceux-ci qui ont accueilli Wala et sa sœur dont je racontais l’histoire précédemment.
Nous avons également apporté un soutien psychosocial et un apprentissage structuré à plus d’un million d’enfants dans les « Makannas » et dans plusieurs espaces sécurisés à travers le Soudan.
Dans plus d’une centaine de centres, nous avons permis à plusieurs enfants de poursuivre leur scolarité malgré la fermeture des écoles. Ces espaces d’apprentissages sont équipés de panneaux solaires, de batteries et de tablettes qui permettent ainsi aux enfants de continuer à apprendre en dépit des coupures d’électricité.
Enfin, nous avons mis en place un programme de « cash transferts » pour près de 3 millions de familles.
En réalité, nos équipes sont mobilisées au Soudan depuis avril 2015 et depuis, nous avons livré 18,5 millions de tonnes de fournitures vitales à travers le pays ; fourni de l’eau potable à 10 millions d’enfants et leurs familles ; permis l’accès à 7,3 millions de personnes aux fournitures médicales et 7,3 millions d’enfants ont été dépistés pour identifier les cas de malnutrition. Parmi eux, 317 000 ont été pris en charge et reçoivent des aliments thérapeutiques prêts à l’emploi (RUTF).
En dépit des besoins croissants, les financements peinent à suivre. Selon vous, quelle en est la raison ?
Les crises humanitaires sont nombreuses et se juxtaposent simultanément les unes aux autres. Le manque de financement de la situation au Soudan s’explique en partie par l’absence des médias pour couvrir la situation.
Pour les journalistes, à cause des conditions sécuritaires et des blocages administratifs des autorités soudanaises, il est aujourd’hui quasiment impossible de se rendre sur le terrain. C’est ainsi que cette guerre, pour le reste du monde, se poursuit dans un silence quasi-total. Aujourd’hui, d’où je me tiens, la crise au Soudan est une crise oubliée.
L’UNICEF a lancé un appel humanitaire de 840 millions de dollars pour venir en aide aux 14 millions d’enfants soudanais qui ont besoin d’une assistance humanitaire urgente.
Sur la totalité de ce montant, 240 millions d’euros sont nécessaires pour intervenir dans 93 localités prioritaires afin de prévenir une famine imminente, mais nous n’avons que 10% des fonds nécessaires.
Tout doit être fait pour arrêter cette guerre. C’est ce dont les enfants ont réellement besoin et ils en ont besoin maintenant. Les combats doivent prendre fin avant que plus d’enfants ne décèdent.
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