Ishmael Beah, c’est d’abord un sourire. Des yeux ouverts sur le monde qui l’entoure, un esprit vif et généreux, et l’exemple de la résilience. C’est aussi un visage qui peut s’assombrir en quelques secondes quand il évoque son enfance, mais qui redevient lumineux quand il parle de sa vie aujourd’hui.
Ishmael Beah ce serait un roman ou un film si ce n’était pas la vie en vrai d’un enfant de la guerre. Cet homme est une victoire sur l’indicible ; la preuve que l’on peut tout surmonter et surtout donner l’exemple. Retour sur son histoire, à travers sa voix.
D’enfant soldat à écrivain et militant pour les droits des enfants. Votre histoire est hors norme. Pouvez-vous nous en parler ?
Je peux dire que j’ai eu deux enfances. La première, paisible et heureuse dans mon village de Mogbwemo au sud de la Sierra Leone. Comme tous les enfants, j’allais à l’école Shakespeare, je jouais au football et je faisais du hip hop. J’étais heureux, tout simplement. Je ne le savais pas encore.
Et puis, il y a eu la guerre. Un jour, j’avais 13 ans, j’ai tout perdu. Mes parents, mes frères, ma maison. J’ai été enlevé par un groupe armé, obligé de les suivre pour ne pas mourir moi aussi. Ce jour-là, mon enfance s’est arrêtée.
La voix d’Ishmael Beah tremble encore lorsqu’il évoque les massacres de l’un des conflits armés les plus meurtriers de cette région d’Afrique. La guerre civile en Sierra Leone a duré 11 ans. Plus de 50 000 personnes y ont perdu la vie et 10 000 enfants ont été enrôlés de force dans les groupes armés.
A l’époque, j’ignorais que j’avais des droits. Quand je l’ai découvert, j’ai décidé de parler de l’importance de protéger les droits de chaque enfant mais aussi montrer qu’il était possible pour un enfant de se reconstruire et de trouver son chemin dans la vie.
Comment avez-vous pu vous échapper ? Quel rôle l’UNICEF a joué ?
L’UNICEF a complètement changé ma vie et m’a aidé à devenir l’adulte que je suis aujourd’hui. Au bout de trois ans en tant qu’enfant soldat, j’ai participé au programme négocié entre l’UNICEF et les autorités, avec d’autres enfants soldats. J’ai passé huit mois dans un Centre de Transit et d’Orientation (CTO) soutenu par l’UNICEF à Freetown, la capitale du pays.
Petit à petit, j’ai réussi à panser mes plaies et à sécher mes larmes. Je suis aussi retourné à l’école. Grâce à l’UNICEF, j’ai pu retrouver les traces de mon oncle et j’ai pu réintégrer l’école de Saint Edward’s Secondary School, où j’ai découvert mon goût pour les mots. Retourner à l’école m’a redonné la soif d’apprendre.
Vous êtes devenu Ambassadeur de l’UNICEF en 2007. Comment est-ce que vous aidez les enfants à votre tour ?
Après avoir été enfant soldat, je me suis dit : « Qu’est-ce que je peux faire pour aider ceux qui ont vécu les mêmes violences que moi ? Comment montrer que d’autres voies sont possibles ? ».
J’ai donc décidé d’être un exemple pour aider d’autres enfants à briser les chaines de la violence. Aujourd’hui, en tant qu’ambassadeur de l’UNICEF, je cherche à donner de l’espoir aux enfants et aux jeunes du monde entier.
A titre d’exemple, j’ai eu la chance de rencontrer des enfants au Mexique, au Brésil, au Nigéria, en Irak, en République centrafricaine mais aussi en Sierre Leone. En parallèle, je soutiens les programmes de l’UNICEF dédiés à la réinsertion des enfants soldats ; je suis leur voix auprès des organisations internationales et auprès de tous ceux qui veulent bien m’écouter et m’entendre. Je milite aussi auprès des autorités des pays en guerre.
Vous êtes aujourd’hui écrivain. Vous allez publier prochainement votre 4ème livre. Pourquoi le chemin de l’écriture ?
Je suis extrêmement sensible aux mots. J’ai très vite éprouvé le besoin d’écrire, de documenter mon parcours et de raconter mon histoire. Je me suis rendu compte que les autres personnes pouvaient avoir des préjugés ou des idées reçues sur les enfants soldats, par manque d’informations et de contexte. J’y ai été personnellement confronté quand j’étais adolescent.
A travers mes livres, je veux porter la cause des enfants soldats, mettre en lumière leur histoire et surtout rappeler qu’un enfant, est avant tout, un enfant.
Votre parcours est inspirant et donne de l’espoir aux enfants. Quel est aujourd’hui le message que vous souhaitez porter ?
Il y a toujours de l’espoir et j’en suis la preuve vivante. Il y a une phrase que mon père me répétait souvent : « Tant qu’on est en vie, il y a de l’espoir et il y a une possibilité que quelque chose de bien t’arrive ». C’est ce message de mon père que je veux passer aux enfants que je rencontre.
Même si le parcours est souvent parsemé d’embuches et d’obstacles, il y a toujours une voie, une autre issue pour s’en sortir et se détourner de la violence. Si j’ai pu le faire, d’autres le pourront aussi. C’est à cela que je veux croire.
Aujourd’hui je vis entre les Etats Unis et la Sierre Leone. Je suis retourné dans mon pays. Je me suis marié. J’ai trois enfants. J’ai construit une famille. Ce n’est pas une revanche mais une victoire. Certains diront peut-être que c’était impossible, mais je l’ai fait. Raconter mon histoire, parler de ma résilience, c’est aujourd’hui, à travers mes livres et mes voyages, le sens de ma vie. Nous devons tous agir ensemble. L’UNICEF m’a donné cette possibilité. Et j’en suis honoré.
Nous devons nous mobiliser pour soutenir le travail de l’UNICEF pour tous les enfants et rappeler sans cesse, à tous qu’un enfant est avant tout un enfant. Et qu’il à le droit à sa vie d’enfant.
En savoir plus sur l’action de l’UNICEF
Depuis le milieu des années 1980, les équipes de l’UNICEF et ses partenaires ont contribué à la libération de plus de 100 000 enfants qui ont été réintégrés dans leur communauté dans plus de 15 pays touchés par des conflits armés *.
* Liste des pays concernés : l’Afghanistan, l’Angola, le Burundi, la République centrafricaine, la Colombie, la Côte d’Ivoire, la République démocratique du Congo, la Guinée-Bissau, le Liberia, le Mozambique, le Népal, le Rwanda, la Sierra Leone, la Somalie, le Sri Lanka, le Soudan et l’Ouganda.