L’escalade des hostilités qui dure depuis le 7 octobre dans la bande de Gaza et en Israël est la plus meurtrière depuis 2006. Le quotidien de millions d’enfants et de familles est devenu un calvaire. Jonathan Crickx, directeur de la communication pour le bureau de l’UNICEF dans l’Etat de Palestine depuis février 2023, témoigne.
L’escalade des violences se poursuit. Sur le plan humanitaire, quelle est la première conséquence de ce conflit sur les enfants ?
Elles sont multiples et tragiques. Le nombre de victimes est effrayant. 36 enfants israéliens sont décédés lors des attaques du 7 octobre et plus de 5 350 enfants palestiniens ont perdu la vie lors des bombardements.
Deux-tiers des hôpitaux sont désormais hors service alors qu’il y a près de 9 000 enfants blessés qui ont besoin de soins d’urgence.
À cela s’ajoute les problèmes d’accès à l’eau dont les répercussions sont extrêmement graves sur la santé des enfants. À ce jour, plus de 33 500 cas de diarrhée chronique ont été recensés. Il faut savoir que c’est la première cause de mortalité chez les enfants de moins de 5 ans dans le monde.
Il est de plus en plus difficile de trouver à manger. Nos équipes sur le terrain nous expliquent à quel point il est compliqué d’avoir un peu d’eau et de pain dans l’enclave.
Comment l’UNICEF vérifie l’exactitude du nombre de victimes ?
Nous utilisons ce qu’on appelle le “Monitoring and Reporting Mechanism” ou le Mécanisme de suivi et d’évaluation. Cela se passe en deux temps. Dès les premiers jours du conflit, les premiers chiffres qui nous sont parvenus sont ceux du ministère de la santé palestinien basé à Ramallah. Ils indiquent aujourd’hui la mort de 5 350 enfants, chiffre qui ne prend pas en compte les victimes disparues lors des bombardements.
Nous insistons sur le fait que ces chiffres sont rapportés et qu’ils ne sont pas vérifiés. Le processus de vérification a lieu dans un second temps, quand les différentes agences de l’Organisation des Nations unies (ONU) en charge de ce mécanisme peuvent se rendre sur place et accéder à toutes les informations.
Quelle est la position de l’UNICEF concernant les enfants israéliens qui étaient retenus en otage depuis le 7 octobre ?
Depuis le début, l’UNICEF a été très clair sur l’importance de libérer l’ensemble des otages, en particulier les enfants.
Nous sommes extrêmement soulagés de savoir que 33 enfants otages israéliens ont été libérés durant la trêve de la semaine dernière.
Comme l’a dit Catherine Russell, directrice générale de l’UNICEF, au Conseil de sécurité de l’ONU : « La destruction de la bande de Gaza et la mort de civils n’apporteront ni la paix ni la sécurité dans la région. Les habitants de cette région méritent la paix. Seule une solution politique négociée – qui donne la priorité aux droits et au bien-être des générations actuelles et futures d’enfants israéliens et palestiniens – peut la garantir ».
L’UNICEF appelle à la fin des hostilités pour parvenir à une paix durable pour chaque enfant.
Deux-tiers des hôpitaux dans la bande de Gaza sont aujourd’hui hors service. Quelle est la situation sanitaire pour les femmes enceintes ? Comment se passent les accouchements ?
La situation est terrible. En moyenne, selon les chiffres dont nous disposions avant cette crise, 5 500 femmes accouchent chaque mois. Selon nos estimations, il y a actuellement près de 50 000 femmes enceintes à Gaza.
Nos équipes ont rencontré des futures mamans. Elles nous ont confié à quel point il était difficile de se rendre dans un hôpital encore capable de les accueillir. Certaines sont donc contraintes d’accoucher à la maison et même parfois dans la rue, dans des conditions sanitaires très précaires.
J’ai le souvenir du récit d’une femme de 25 ans, enceinte de son premier enfant. Ses contractions ont commencé quand elle a entendu les premiers bombardements. Elle a pu se rendre dans un hôpital pour accoucher mais immédiatement après la naissance de sa fille, elle a dû partir pour libérer la place. Son bébé était terrifié par le bruit des bombes. Dans l’abri de l’ONU où elle se réfugiait, il n’y avait pas d’eau potable pour faire les biberons, changer son enfant et lui donner le bain.
Ce témoignage reflète le calvaire que vivent les femmes enceintes et les jeunes mamans qui doivent composer avec cette situation et lutter pour la survie de leurs nouveau-nés.
L’UNICEF continue d’acheminer l’aide humanitaire dans l’enclave. Comment se passent les distributions?
Avant la pause dans les combats, l’UNICEF et les différentes agences des Nations unies ont pu faire entrer l’aide dans la bande de Gaza. Nos équipes ont acheminé de l’eau, des médicaments et du matériel médical pour les salles de chirurgie qui manquaient de compresses, de seringues, d’anesthésiants…
Pendant l’arrêt des combats et la trêve, qui fut véritablement un moment de répit, l’aide humanitaire a continué à être acheminée, mais cela reste très peu. Beaucoup trop peu. Surtout quand on mesure l’étendue des besoins. Pour vous donner un exemple, les bouteilles d’eau que nous avons distribuées le premier jour répondent aux besoins d’environ 60 000 personnes pour quelques jours, alors qu’il y a 1,9 million de personnes déplacées, dont la moitié sont des enfants. La disproportion entre les besoins et l’aide humanitaire acheminée est flagrante.
Depuis le début de cette crise, l’UNICEF a apporté de l’eau potable à 1 million de personnes et du matériel médical pour 300 000 personnes. Depuis la reprise des combats le vendredi 1er décembre, à 7h du matin, l’aide humanitaire qui parvient à rentrer dans la bande de Gaza est réduite au minimum.
Quels sont les défis auxquels les équipes sont confrontées sur place ?
Nos équipes rencontrent des difficultés pour se déplacer dans l’enclave. C’est d’autant plus difficile que depuis la reprise des hostilités, les bombardements affectent aussi le sud de Gaza.
Les combats se sont intensifiés, l’aide humanitaire qui rentre est insuffisante, la situation est particulièrement inquiétante. La population se trouve dans une réalité encore plus dramatique qu’elle ne l’était avant le début de la trêve.
Quelles sont les priorités de l’UNICEF sur place ?
Notre priorité est de sauver et de livrer l’aide vitale nécessaire à la population. La semaine dernière, nos équipes ont pu distribuer de la nourriture et de l’eau dans le nord du territoire. L’hiver qui arrive est une menace supplémentaire. Pour y faire face, nous acheminons notamment des vêtements chauds pour les bébés et les enfants.
Il n’est pas possible d’apporter une aide à l’échelle des besoins dans le contexte et les circonstances actuels. Il faut absolument qu’il y ait plus d’aide humanitaire qui rentre dans la bande de Gaza.