Dans une tribune parue aujourd’hui dans Le Monde, à l’occasion de la tenue prochaine des Assises nationales de la pédiatrie et de la santé de l’enfant, la présidente de l’UNICEF France, Adeline Hazan, et les pédopsychiatres Marie-Rose Moro et Thierry Baubet appellent à garantir à chaque enfant l’accès à des soins de qualité.
Paris, le 17 avril 2023 – En France, on estime que 1,6 million d’enfants et d’adolescents souffrent de troubles psychiques, mais 750 000 à 850 000 seulement bénéficient actuellement de soins prodigués en pédopsychiatrie par les professionnels spécialisés (en ambulatoire et en hospitalisation partielle ou complète).
Or, si la santé mentale constitue évidemment un enjeu de santé publique, il s’agit d’abord d’un droit fondamental pour chaque enfant. La Convention internationale des droits de l’enfant y consacre ainsi un article soulignant le droit de « jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services médicaux » [article 24], rappelant l’obligation pour l’Etat d’assurer « qu’aucun enfant ne soit privé du droit d’avoir accès à des services de santé efficaces ».
L’explosion des besoins en matière d’accompagnement et de prise en charge médicale s’accroît de manière dramatique. Entre 2016 et 2021, le nombre de passages aux urgences pour troubles psychiques chez les moins de 18 ans, notamment des tentatives de suicide, a augmenté de 65 %. En parallèle, le nombre de pédopsychiatres diminue et l’on compte aujourd’hui seulement 700 pédopsychiatres dans le pays, pour 15 000 psychiatres.
Ce manque de moyens se traduit par des inégalités territoriales inacceptables. Le taux de suicide chez les jeunes de Guyane est huit fois plus élevé qu’en France métropolitaine et en 2021, huit départements ne disposaient toujours d’aucun lit d’hospitalisation en soins psychiatriques réservé aux moins de 18 ans.
Urgence
Pire encore, quand une prise en charge est possible, les délais d’attente peuvent aller jusqu’à dix-huit mois, voire deux ans. Les nombreuses alertes lancées ces dernières années par les pédopsychiatres montrent l’importance de renforcer les dispositifs de prise en charge, par exemple avec des équipes mobiles, ainsi que les leviers de prévention en santé afin de réduire le recours aux soins en situation d’urgence.
Aujourd’hui, particulièrement depuis la crise du Covid-19, la santé mentale des enfants fait l’objet d’une attention croissante des politiques publiques, notamment à partir de la « feuille de route santé mentale et psychiatrie » lancée en 2018 mais les efforts sont insuffisants au regard des besoins et du retard accumulés.
Le ministre de la santé et de la prévention a annoncé la tenue prochaine des Assises nationales de la pédiatrie et de la santé de l’enfant « avant l’été 2023 ». En s’engageant à relever le défi de la santé mentale des enfants, ces Assises présentent une réelle occasion de répondre – au-delà des déclarations – à l’urgence actuelle, et de mieux préparer l’avenir des enfants.
C’est pourquoi à cette occasion, nous appelons le gouvernement à garantir un soutien financier et structurel à la hauteur des besoins. Cela doit passer par plusieurs étapes.
Elargir le réseau d’acteurs
Tout d’abord, garantir à chaque enfant l’accès à des soins de qualité en créant de nouveaux postes – mieux valorisés – de pédopsychiatres et des équipes mobiles pouvant aller vers les enfants les plus vulnérables éloignés du système de prise en charge et en développant les capacités d’accueil des structures. De plus, le déploiement des infirmiers en pratique avancée ainsi que la valorisation de la médiation en santé mentale doivent faire l’objet d’une certification et d’une reconnaissance spécifiques.
En parallèle, il s’agit de renforcer les dispositifs de prévention en santé, en élargissant le réseau d’acteurs pouvant jouer un rôle de détection précoce des troubles. En ce sens, les futurs médecins traitants devraient être mieux formés en psychologie et psychiatrie infanto-juvénile. Cet investissement dans la prévention est complémentaire mais absolument déterminant, puisque la moitié des troubles de santé mentale apparaissent avant l’âge de 14 ans et la plupart ne sont pas détectés.
En faisant le choix de sensibiliser et de former les adultes du domaine médical, éducatif, social aux besoins des enfants, nous pourrons favoriser une culture commune du soin et soutenir les professionnels qui doivent actuellement « trier les patients » dans des situations d’urgence.
Enfin, il est nécessaire d’effectuer un changement de narratif sur les troubles de la santé mentale, exprimant une vision positive et non stigmatisante de la santé mentale, au même titre que celle sur la santé physique.
Aux Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant, la santé mentale doit être une priorité absolue pour que chaque enfant puisse bénéficier du soutien et des soins dont il a besoin.
Signataires :
- Adeline Hazan, présidente d’Unicef France
- Marie-Rose Moro, psychiatre de l’enfant et l’adolescent
- Thierry Baubet, psychiatre de l’enfant et de l’adolescent