Dans une tribune parue aujourd’hui dans Libération, à l’occasion de la Journée mondiale de l’eau, ce vendredi 22 mars, la présidente de l’UNICEF France, Adeline Hazan, la coordinatrice de la Coalition Eau, Sandra Métayer et le directeur général de Solidarités International, Kévin Goldberg, demandent au gouvernement de servir l’intérêt supérieur de l’enfant : son libre accès à l’eau potable dans les régions ultramarines.
À l’occasion de la Journée mondiale de l’eau, il nous parait essentiel de rappeler les problématiques majeures d’accès à l’eau et à l’assainissement dans les Outre-Mer, où des milliers d’enfants font face à des difficultés quotidiennes pour satisfaire un besoin fondamental : l’accès à une eau salubre.
Les dysfonctionnements structurels rencontrés par les réseaux d’eau et d’assainissement donnent lieu à des situations de non-accès à l’eau, ou à de l’eau qui n’est pas adaptée à la consommation humaine.
Le nombre de personnes vivant au quotidien sans accès à une eau potable dans les Outre-mer est bien plus important que dans l’hexagone : 30 % de la population à Mayotte[1] ; entre 15 % et 20 % en Guyane[2].
Les habitants sont exposés à des risques de contamination. À La Réunion, la moitié de la population ne peut pas boire l’eau du robinet car elle est impropre à la consommation. En Guadeloupe et en Martinique, les habitants subissent des coupures d’eau régulières, tandis que la pollution au chlordécone menace leur santé. En Guyane, la présence de métaux lourds dans les cours d’eau contamine près d’un enfant sur cinq, provoquant de graves troubles neurologiques. La proportion de personnes touchées par le saturnisme y est 60 fois plus élevée que dans l’hexagone.
Au quotidien, les difficultés d’accès à une eau sûre et saine et la vétusté des réseaux d’eau et d’assainissement augmentent considérablement les risques d’épidémies et de maladies hydriques, telles que les infections gastro-intestinales, le choléra ou la fièvre typhoïde. Les enfants en sont les premières victimes. Les professionnels de santé du Centre Hospitalier de Mayotte signalent une incidence particulièrement élevée de cas de diarrhées aiguës, de déshydratation et de gastro-entérites, en particulier chez les enfants. Une vigilance renforcée sur des cas de choléras dans la région est à l’œuvre alors qu’un premier cas a été détecté sur l’île, de même que la prévalence notable d’infections cutanées et parasitaires, dont des cas de gale associés aux conditions de vie insalubres.
Outre ces risques sanitaires, le manque d’accès à l’eau et les coupures fréquentes dans ces régions privent des milliers d’enfants d’une éducation continue, de qualité et d’un niveau comparable à celui de la France hexagonale. Quand l’eau manque, ce sont souvent les enfants, et notamment les jeunes filles, qui sont responsables d’aller chercher de l’eau au lieu d’aller à l’école. Le manque d’accès à l’hygiène développe aussi chez les enfants un sentiment de honte, qui rend difficile l’insertion scolaire. La manque d’eau et d’hygiène peut entraîner des situations d’abandon scolaire chez les jeunes filles à l’âge de la puberté. En Martinique et en Guadeloupe, les coupures d’eau ont entraîné 20 % de jours de classe perdus en 2022[3].
Malgré ces constats accablants et les alertes répétées de collectifs d’usagers, mais aussi d’institutions nationales et internationales, les régions ultramarines endurent une crise de l’eau persistante. Si des actions sont entreprises par les autorités locales et nationales, elles demeurent insuffisantes face aux besoins immédiats en eau des populations ultra-marines et aux impacts prévisibles du changement climatique sur les ressources hydriques de ces territoires. Des investissements et des actions doivent être engagés pour répondre aux besoins et garantir l’accès des enfants à l’eau potable, notamment ceux vivant en situation de pauvreté et de vulnérabilité.
Face à un risque grandissant de crise sanitaire, nos organisations appellent à la prise de mesures urgentes, telles que :
- la réhabilitation et l’adaptation des infrastructures d’eau et d’assainissement,
- l’installation massive de bornes-fontaines,
- la généralisation de dispositifs d’aides au paiement des factures d’eau,
- la lutte contre les contaminations et l’indemnisation des enfants contaminés par le chlordécone, comme recommandée par l’ONU en juin 2023.
En ce jour symbolique de la Journée mondiale de l’eau, nous rappelons la responsabilité du Gouvernement et des collectivités à servir l’intérêt supérieur de l’enfant et à garantir les droits humains à l’eau et à l’assainissement pour chaque enfant, où qu’il se trouve sur le territoire national.
Les enfants des Outre-mer ne doivent plus être des victimes oubliées sur le sol français !
Signataires :
- Adeline HAZAN, présidente de l’UNICEF France
- Sandra MÉTAYER, coordinatrice de la Coalition Eau
- Kevin GOLDBERG, directeur général de Solidarités International
Notes :
[1] La gestion de l’eau et de l’assainissement dans les Outre-mer, Avis 2022-015, NOR CESL 1100015X, Délégation Outre-mer Conseil économique social et environnemental
[2] Ibid
[3] Services publics aux Antilles : garantir l’accès aux droits, Rapport 2023 Défenseur des droits