Alors que 460 millions d’enfants vivent dans une zone de conflit, l’UNICEF France s’associe à un collectif d’élus et de représentants d’ONG pour demander, dans une tribune au « Monde », à ce que le gouvernement définisse une feuille de route pour la mise en place d’actions humanitaires pour la petite enfance.
A l’occasion de la Conférence nationale humanitaire organisée le 19 décembre 2023 et de la publication de la nouvelle « stratégie humanitaire » française 2023-2027, la France a réitéré son engagement à promouvoir le droit international humanitaire pour protéger les populations civiles et les personnels humanitaires.
Outre des montants dédiés à l’aide humanitaire rehaussés à 1 milliard d’euros par an d’ici à 2025, la France a annoncé qu’elle intégrait les enjeux liés aux droits de l’enfant, à l’égalité de genre et aux droits des femmes et des filles, et au climat, ce que nous saluons. Les droits de l’enfant, dont l’éducation en situation d’urgence, ainsi que l’approche fondée sur les droits de l’enfant, sont désormais au cœur des priorités transversales et systématiques de la réponse humanitaire.
Premières victimes des crises
Face à l’intensité des crises et conflits actuels, nous demandons au gouvernement que les engagements stratégiques se traduisent rapidement par des actes concrets, et que les droits des enfants, notamment des plus jeunes et des plus vulnérables vivant en contexte de crise, soient rappelés, respectés et promus. Ces engagements doivent se matérialiser par une aide de qualité, multisectorielle, et adaptée aux besoins spécifiques des enfants, dont ceux des filles.
Les enfants sont les premières victimes des crises, qu’elles soient politiques, climatiques, humanitaires, économiques, sanitaires ou alimentaires. En 2023, 460 millions d’enfants vivaient dans une zone de conflit et au moins 43,3 millions d’enfants étaient en situation de déplacement forcé, selon l’Unicef.
L’année 2023 ne les aura malheureusement pas épargnés, que ce soit en Ukraine, dans la bande de Gaza, en Haïti, en République démocratique du Congo, en Syrie, au Yémen ou encore dans la Corne de l’Afrique. La malnutrition menace 45 millions d’enfants de moins de 5 ans, d’après la Coordination des affaires humanitaires de l’ONU, et 250 millions d’enfants ne sont pas scolarisés, selon l’Unesco.
Il est urgent d’assurer la réalisation de tous les droits des enfants, dont les plus jeunes vivant en situation de crise (éducation, santé, santé mentale, nutrition, protection…). L’enfance – et particulièrement la petite enfance (moins de 8 ans) – est la phase de développement la plus importante dans la vie d’une personne.
Stress toxique
Pendant cette phase, le développement physique, cognitif, social, émotionnel et linguistique établit les bases essentielles du bien-être et de la résilience de l’enfant. Cette période influe sur sa santé mentale et physique, sur sa capacité à nouer et à entretenir des relations respectueuses avec les autres, sur son apprentissage et ses progrès scolaires, ainsi que sur sa participation sociale et économique pour le reste de sa vie.
Les jeunes enfants vivant dans des contextes de crise sont confrontés à une activation prolongée et excessive de stress toxique entraînant des répercussions négatives tout au long de leur vie. Les recherches montrent qu’un accès à des soins peut atténuer ces risques, et une relation saine et bienveillante avec la personne qui s’occupe d’eux est la principale source de résilience.
Les services et programmes de réponse humanitaire doivent donc intégrer à la fois des soins adaptés et une prise en charge éducative pour les jeunes enfants, ainsi qu’un suivi de la santé mentale et un soutien psychosocial pour les personnes qui en sont responsables. Cette prise en charge combinée du jeune enfant et de son accompagnant reste l’une des plus grandes lacunes observées dans les efforts d’intervention d’urgence existants.
Nous saluons l’ambition renouvelée de la France en matière de réponse humanitaire et son engagement pour le respect des droits et besoins des enfants. Le déploiement de la nouvelle stratégie peut combler les insuffisances des programmes destinés à la petite enfance, qui restent négligés et sous-financés dans les contextes de crise, y compris à travers le pacte mondial sur les réfugiés. A l’échelle mondiale, le développement de la petite enfance représente environ 3 % de l’aide au développement accordée aux pays touchés par des crises, note l’Unicef, et seulement 2 % de l’aide humanitaire, d’après une étude réalisée par l’ONG Moving Minds.
Un rôle moteur
La France a aujourd’hui l’occasion de faire la différence :
- en renforçant l’impact des appels à projets et des programmes financés par l’Etat par la prise en compte systématique des droits des jeunes enfants en situation de crise ;
- en débloquant des financements multisectoriels plus importants, ciblés sur le développement de la petite enfance, surtout en contexte de crise, et pluriannuels pour des réponses plus durables dans une approche Nexus. En 2022, la France a consacré 4,9 % seulement de son aide humanitaire à l’éducation et 0,1 % pour la protection des enfants, souligne la Coordination des affaires humanitaires de l’ONU ;
- en poursuivant les efforts pour que les acteurs locaux du développement de la petite enfance dans les pays d’intervention contribuent à la conception et à la gestion des programmes, et en améliorant la participation des organisations d’enfants et de jeunes.
La France a un rôle moteur à jouer dans la mise en œuvre des droits de l’enfant en contexte de crise, et dans la reconnaissance des besoins essentiels de la petite enfance. Ces priorités doivent nécessairement s’accompagner de la mise en place d’actions concrètes et impactantes, à travers une feuille de route que le nouveau gouvernement doit rapidement définir.
Liste des signataires : Eléonore Caroit, députée (Renaissance) des Français établis hors de France, vice-présidente de la commission des affaires étrangères ; Louise Clément, coordinatrice du collectif Coalition Education ; Gilles Delcourt, directeur général de l’ONG Action Education ; Harlem Désir, senior vice-président de l’ONG International Rescue Committee pour l’Europe ; Adeline Hazan, présidente de l’UNICEF France ; Rachid Lahlou, président fondateur du Secours islamique France ; Mélanie Luchtens, coordinatrice du collectif Groupe Enfance ; Isabelle Santiago, députée (PS) du Val-de-Marne, vice-présidente de la délégation aux droits de l’enfant ; Adrien Sallez, directeur général de l’Association Sœur Emmanuelle ; Tricia Young, directrice du collectif Moving Minds Alliance.